Blanche Sahuqué

(J'ignore tout de vous...)

(J'ignore tout de vous...)

 

A la comtesse Mathieu de Noaïlles


Et que mon livre porte à la foule future
Comme j’aimais la vie et l’heureuse nature.
(L’Ombre des Jours.)

J’ignore tout de vous: votre air, votre visage,
Vos cheveux d’ambre pâle ou noirs comme la nuit;
Vos yeux ombrés ou clairs, verts, dorés, bleus ou gris,
Et je ne vous connais que par d’ardentes pages.

C’est à travers les mots impétueux ou fous,
Faits d’ivresse chantante et de rêves fugaces,
De désirs haletants, d’air, de soleil, d’espace,
Du mal cher et secret que l’on devine en vous,

Que je vous vois, vibrante et de songe éclairée..
Vos yeux ont le reflet des ciels que vous chantez,
Tantôt suaves, fins, ou sombres, tourmentés,
Ils ont tous les frissons dans leurs ondes moirées.

Vos gestes, votre voix, vos rireset vos pleurs
Sont faits des chants de mer, des nuages qui passent,
Des murmures du soir, du printemps, de sa grâce,
De vie chaude et multiple enroulée au bonheur,

De tous les maux subtils qui font l’âme chercheuse,
Le monde trop étroit et trop loin tous les coeurs...
Je vous ai reconnue à cette amère ardeur
Qui soulève et qui tord la chair mystérieuse.

Et puisque votre voeu est d’être aimée ainsi,
Par ceux qui ne verront que les pages du livre,
Sachez que l’on éprouve à vous entendre vivre
Un plaisir si tenace et d’un si cher souci

Qu’un peu de vous se mêle à tout ce qui enivre.

Le chemin solitaire, 1908.



19/09/2012
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