Au piano
Au piano
Taisons-nous. Les mots sont trop lourds
Et vont effaroucher les rêves...
Seule, la note exquise achève
Ce que mumure en vain l'amour.
Les caprices de la pensée,
Les coins inexpliqués du coeur,
Et la torturante douceur
De l'accord sur l'âme pâmée.
Et ce sont les vagues confins
Où l'on perd pied dans l'impossible,
Mystère de l'inaccessible
Où tendent nos désirs sans fin!
Tu nous révèles l'ineffable,
O musique au front dans le ciel!
Tu tiens le poème éternel
Au fond des notes innombrables.
Ces notes - sans vie ni couleur, -
Sous le souffle ardent du génie,
Deviennent les cris de folie
Où saigne et halète le coeur.
On dirait de brûlantes âmes
Que la passion fait mourir;
Des voix qui semblent défaillir
Pour renaître en nouvelles flammes.
Et tout le soleil de l'été,
La forêt, les vagues sonores,
Dans ce soir d'hiver vont éclore
Parmi les beaux accords jetés.
Pages Posthumes, 1913