Nuit fervente
Nuit fervente
Le jour est lourd sur ma pensée,
La vie et le bruit font du mal;
Il faut à mon bel idéal
La langueur des heures couchées.
Il faut que lentement un coeur
Se déroule dans le silence,
Comme une fleur qui se balance
Et mêle à la nuit son odeur.
Et pour que mon âme se lève,
Comme la lune au fin croissant,
Il faut que le cielpâlissant
Se nimbe des lueurs du rêve!
La nuit est belle pour l'amour,
La douleur et la poésie;
Elle a un visage qui prie
Avec une auréole autour.
Elle a aussi un front qui brûle,
Et de sublimes battements,
Quand le poète éperdument
S'en vient vers elle, au crépuscule.
Elle a dans ses bras tout l'été,
Des gerbes de fleurs éblouies,
Quand elle éclaire le génie
Qui crée et se pâme en beauté!
O nuit je t'aime et je t'attends,
Nuit de ferveur et de mytère,
Toi qui délivre et qui libère
L'esprit des entraves du temps.
Et tout le jour mon coeur mystique,
Comme une urne emplie de trésors,
Comme un tabernacle où Dieu dort,
Comme un temple où monte un cantique,
Porte dans ses replis ombreux,
Ainsi qu'un mal d'amour sa peine,
Tout un poème douloureux
Qui éclot dans la nuit sereine!
Pages posthumes, 1913