Quand ma jeunesse
Quand ma jeunesse
Quand ma jeunesse immense, orageuse et brûlante,
Eclatait, bourgeon mûr,
Mettant au ciel, à l'eau, à la nuit odorante
Un poème d'azur;
Quand la vie, amplement, soulevait ma poitrine,
Comme le flot montant;
Que mes yeux, tour-à-tour, algue ou brise marine,
Etaient couleur de temps;
Quand l'été radieux, tout plein de ma jeunesse,
Chantait dans le soleil;
Que mon coeur chaud donnait, comme un fruit que l'on presse,
Sa saveur et son miel;
Quand l'amour, des deux mains, tenant l'espoir du monde,
Me semblait éternel
Et dorait l'avenir avec sa tête blonde
De jeune dieu vermeil;
Quand le bonheur coulait, comme un fleuve d'ivresse,
Sur mes vingt ans vainqueurs;
Que la vie sur mon front - guirlande que l'on tresse
Avec des jours en fleurs -
Semblait faite en rayons, en pétale de rose,
En baisers à cueillir,
Et s'ouvrait devant moi en une apothéose
De mes jeunes désirs,
La Douleur n'était pas. c'était la sombre image,
L'envers de ces beautés,
Un orage qui passe au loin, au fond des âges,
Et n'a pas éclaté...
Et lorsque, maintenant, j'étreins, désespérée,
Les chers étés pareils,
La mer et la forêt semblent décolorées,
L'ombre est sur le soleil.
Car la Vie, a pâli une à une,
Les belles saisons d'or,
Les matins lumineux et les fins clairs de lune,
Mon coeur et mon trésor.
Pages posthumes, 1913