Souffrir
Souffrir
Souffrir! porter sur soi tout le poids de la terre!
Sangloter sur le coeur brisé de sa chimère!
Tomber ainsi que l'arbre abattu en chemin;
Etre tout fardeau et tout le trouble humain!
Tordre ses bras déçus, courber son front qui rêve
Etre comme la mer pleurante sur la grève!
Mêler à la tempête ses gémissements,
Rouler comme une branche morte dans le vent!
Souffrir! être tout seul quand le printemps bourdonne,
Sentir l'effroi qui monte à la fin de l'automne.
Entrevoir de l'Amour le nimbe radieux
Et savoir que déjà l'ombre voile nos yeux!
Que les mots murmurés, dans le trouble et l'extase,
S'égouttent du coeur mort comme le vin du vase;
Que tout ce qui fleurit, charme, enlace, surprend
Devient poussière, ennui, solitude et tourment!
Sentir roulés en soi tous les chagrins du monde
Comme un cilice amer aux épines profondes!
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Et vous, subtils chagrins, peines aux fronts changeants
Qui créez des malheurs à nos coeurs exigeants!
Extatiques chagrins que nous fait la musique!
Sanglots profonds, aigus des violons tragiques!
Douleur de la Beauté qu'on ne peut posséder,
Malgré nos yeux ouverts et nos deux bras fermés!
Vertige d'infini! Idéal qui torture!
Impuissance à s'unir à l'immense nature!
O vous, tous nos regrets, douleurs, déceptions
Montez vers le ciel noir, en sombre ascension!
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Et pourtant, ô souffrance éperdue et pâlie,
Tu es encor l'Amour, et la force, et la vie!
Puisque toute ta plainte et ton souffle dément
Sont de la fougue aussi, du bruit, du mouvement,
Et qu'en ta course folle à travers nos alarmes,
Tu écumes le coeur en lui prenant ses larmes!
Belle Douleur! en toi s'affirme notre moi!
Beau masque tourmenté de tout l'immense émoi!
Tu jettes ta clameur aux quatre coins du monde
Comme l'amour, l'orage et la vague qui gronde!
Ivresse de souffrir! de jeter son chagrin
Du grand geste éperdu dont on lance le grain,
Le grain qui fait germer les beaux épis de flamme,
Ainsi que la Douleur ensemence notre âme,
Et prépare en secret, d'un étrange retour,
Le fort, mystérieux et triomphant amour!