Amertume
Amertume
Puisque la mort plaintive aux rives étrangères
Npus emporte si tôt,
Pourquoi chérir l'amour, les parfums, la lumière,
Leur joie est un sanglot.
Du radieux été, pourquoi presser les treilles,
Jusqu'à l'enivrement?
Pourquoi l'automne roux emplit-il les corbeilles,
Puisque l'hiver nous prend?
La Jeunesse, en riant, aux flancs moussus des arbres
Met des noms enlacés,
Pourquoi frémir ce soir, si demain, sous le marbre,
Les yeux seront glacés?
Pourquoi d'un fauve élan l'amour joint-il les bouches,
Et les mains des amants,
Puisque la mort est là qui dénoue en leur couche
L'étreinte et les serments?
Puisque tout est si court, décevant, inutile,
Que tout passe et s'enfuit,
Que les plus grands amours semblent un son futile
Dans l'immense infini;
Que si près des baisers, la douleur suspendue
Est un terme fatal,
Pourquoi ne pas laisser notre âme hautaine et nue
Vivre sans idéal?
N'entr'ouvrir notre coeur, comme un fruit qu'on partage,
Qu'aux plaintes des mourants,
Et passer dans la vie comme au sein d'un orage
Où l'on ploie sous le vent.
Le chemin solitaire, 1908