Chanson de mer
Chanson de mer
Les barques glissent sous le vent
Apre et chargé d'odeurs salées,
Les vagues viennent, enlacées,
Mourir sur le sable mouvant.
L'hirondelle de mer, sauvage,
Trace un grand cercle en l'air vermeil;
Des papillons blancs au soleil
Vont d'un vol ivre sur la plage.
O toutes les choses de mer!
Le varech, la lame, le sable,
Et la plainte longue, inlassable,
Qui monte du reflux amer,
Comme vous possédez mon âme!
Et qu'en vous, passionnément,
J'aime décharger mon tourment,
Mon coeur chaud qui s'use à sa flamme.
Ah! prenez dans votre mirage
Ce coeur que la vie a blessé;
Roulez-le sous vos flots pressés
Comme la vague un coquillage.
Que je perde la notion
De la douleur, de la pensée,
Et que je me sente poussée
Dans le vent, comme un alcyon.
Que, mettant tendrement ma tête
Sur votre eau vive et sous le ciel,
Mon être entier devienne tel
Qu'un goëlan, une mouette.
Et loin de l'amour malfaisant,
Ses affres, ses coups, ses traîtrises,
Je m'épanche et me vaporise
parmi l'écume des brisants.
A moins que la vie indomptable,
Qui bondit et crie en mon coeur,
Mette sa fauve et triste ardeur
Dans l'âcre immortelle de sable.
Le chemin solitaire, 1908.