Deux arbres tour à tour
Deux arbres tour à tour...
Deux arbres, tour à tour, sollicitent mes rêves,
D'une pareille ardeur,
Selon que, triste ou gai, je marie à leurs sèves
Ma joie ou ma douleur.
Selon que le,printemps a fait mon coeur vivace,
Et fécond comme lui,
Ou que l'hiver morose a soufflé dans l'espace
Tous les songes enfuis.
Selon qu'Amour a pris mes dolentes pensées
En ses clémentes mains,
Ou qu'assagi, je marche à l'ombre des vallées...
C'est le Chêne oule Pin.
O pin! arbre d'aour, qui pleure ta résine,
Inépuisablement,
De quel tourment secret portes^tu les épines
Ton feuillage ardent?
Quelle plainte joins-tu aux plaintes monotones
Et sombres de la mer,
Quand, dans les soirs fuyants et noirs des fins d'automne,
Tu ploies au vent amer?
Arbre étrange et pensif! arbre de nostalgie,
J'aime mêler à toi
L'ivresse et la douleur, toujours inassouvies,
Qui frémissent en moi.
Mais quand mes rêves vains, battus des flots d'orage
S'en reviennent meurtris,
Je rafraîchis mon front aux paisibles ombrages
Du chêne, mon abri.
J'enroule mon chagrin à ses larges ramures,
Comme en des bras puissants,
Et mes yeux reposés s'emplissent de verdure,
Dans les soirs caressants.
Et je redeviens pur, confiant et très calme
Quand, au tendre couchant,
Les grands boeufs rentrent las, couroonnés de ses palmes,
Comme mon oeur penchant.
Le chemin solitaire, 1908.